Je m'appelle Vin. Ou plus exactement, si vous êtes des adeptes du précis, Vin Ariana Sanderson. Je suis née il y a à peu près 18 ans de cela, à New York, fille d'un mortel et d'une déesse, Meditrina. Cela, je l'ai toujours su. Je ne sais pas pourquoi mon père était persuadé qu'il ne fallait rien me cacher de mes origines, mais le fait est là. Depuis toute petite, sans en être le moins du monde déstabilisée et sans jamais l'avoir raconté autour de moi, je savais être la fille d'un être divin. Et pourtant, il y aurait eu de quoi se vanter, à l'école. En revanche, je ne savais encore rien du fait qu'il existait beaucoup d'autres demi-dieux, pas plus que je n'avais connaissance de l'existence de leurs camps. Tout juste me doutais-je de la présence de créatures que l'on retrouvait dans la mythologie. Enfin bref, toujours est-il que je ne racontais jamais rien. Ma vie fut des plus normales - si on excluait le fait que je n'allais chez les médecins pour autre chose que les vaccins obligatoires dont je ne comprenais pas l'utilité puisque je n'étais jamais malade-, composées de beaucoup de joies pour peu de peines. Je n'ai vu ma mère qu'une fois, le jour de mes 10 ans. Elle ne me manquait pas plus que cela à l'époque où je ne la voyais pas, j'avais mon père et je l'adorais. Mon père … Il était médecin urgentiste. Il fallait au moins ça pour que madame ma mère s'intéresse à lui. Et, bien que ce soit un hobby plutôt étrange pour un médecin, c'était un véritable passionné d'escrime. Il me transmit sa passion, non pas celle du sport, mais celle des armes tranchantes de manière générale, en m'apprenant les bases. Je crois que cela explique pourquoi j'ai si vite appris le maniement du glaive par la suite. Mais cela, ça arriva plus tard. Après l’événement qui changea toute ma vie. C'était un mercredi après-midi. Mon père travaillait, comme à son habitude, pendant que j'étais restée toute seule à notre appartement. Pour être honnête, je m'ennuyais ferme. Et si j'avais su par avance la suite de cette journée, il me semble que j'aurais été heureuse de m'ennuyer encore tous les jours à venir. L'arrivée affolée d'un ami de mon père, pâle, brisa mon ennui. Je ne me rappelle plus ses mots exacts, seulement de l'effroi qui s'était emparé de moi. Sans même prendre le temps de fermer l'appartement, il m'embarqua dans sa voiture et, conduisant à toute allure, m'emmena à l'hôpital. Mon père était mourant. Je ne savais pas pourquoi, mais un fou armé s'était attaqué à lui et à ses collègues lors d'une intervention. Ils furent presque tous blessés. En revanche, seul mon père avait reçu une balle dans la poitrine. Ce fut un réel miracle qu'il tienne jusqu'à mon arrivée. J'ai su qu'il allait mourir sans vouloir le croire à l'instant où je l'ai vu. Il a souri en m’apercevant et m'a dit ces quelques mots juste avant de rendre l'âme :
« Quand ils viendront … Suis les loups. Je t'aime. »
C'est ainsi que je perdis l'être qui comptait le plus pour moi, le dernier membre de ma famille apte à s'occuper de moi. Presque simultanément, je ressentis trois émotions. La première, la plus logique, fut bien sûr l'immense tristesse liée à sa perte. La deuxième, le désir de vengeance qui me persuada que je tuerais le fou qui l'avait tué et qui, bien que son nom soit connu de la police, n'avait pas été retrouvé. La troisième fut une haine véritable envers ma mère, qui, bien qu'elle soit une déesse et que j'étais persuadée qu'elle aurait pu sauver mon père, n'avait rien fait, même pas manifesté sa présence. On me plaça par la suite en famille d'accueil. C'était de braves gens, certes, mais je sentais que je n'étais pas à ma place chez eux. Trois semaines plus tard, les loups vinrent. Je les vis de ma fenêtre et je fis aussitôt le lien avec ce que m'avait dit mon père. Laissant un vague mot comme quoi je partais retrouver un ami de mon père, je fuguais sans le moindre remord pour suivre les loups. Ils me conduisirent à Lupa. Âgée de moins de 10 ans, je dois admettre qu'elle m'effraya un peu au début. Elle m'expliqua pas mal de choses dont je n'avais pas connaissance concernant les demi-dieux en général, la brume et j'en passe. Elle me garda sept mois et demi. Je ne me faisais aucune illusion quant à mon sens de l'orientation. Aussi, quand Lupa me déclara qu'il me fallait à présent trouver le camp romain toute seule, j'étais horrifiée. En étant réaliste, il y avait plus de chance que j'arrive au camp grec ou à un camp de vacances qu'au camp où je devais me rendre. Si tant est que j'y arrive un jour. Mais elle ne me laissa pas vraiment le choix. Curieusement, à peine avais-je commencé à marcher qu'une sorte de sixième sens me poussa à aller dans une direction bien précise. Je marchais environ deux semaines, seulement quand il faisait jour. À partir du moment où il faisait nuit noire, je me recroquevillais dans un coin, terrifiée par l'obscurité. Les deux semaines écoulées, il me restait quelques jours au moins de marche. Mais ce jour-là, je fêtais mes 10 ans. Et, événement sûrement plus important, je vis ma mère pour la première fois de ma vie. Appelez cela comme vous voulez, instinct ou n'importe quoi d'autre, j'ai su que c'était elle en la voyant. La colère, bien sûr, arriva immédiatement, mais avant que j'aie pu lui reprocher quoi que ce soit de la mort de mon père, elle mit un doigt sur ses lèvres pour que je me taise. Malgré mon envie de lui faire des reproches que j'estimais méritée, elle prit la parole :
« Je t'assure que je n'ai rien pu faire Vin. La balle était trop près du cœur pour qu'une guérison soit possible et il n'est pas en mon pouvoir de ressusciter les morts. Mais saches que tu n'aurais certainement pas pu lui parler si je n'avais pas agi pour retarder sa mort. »
Je la crus. Les plus sceptiques d'entre vous me diront naïve, mais j'étais sûre qu'elle disait la vérité. Encore une fois, instinct ou sixième sens, je ne sais pas. Je pleurais dans ses bras, tous souvenirs du décès de mon père revenus à ma mémoire. Sa présence me réconforta quelque peu, même si elle ne resta pas longtemps. Elle me fit don de la barrette-glaive que j'ai toujours avec moi et, sans autre forme d'adieu qu'un sourire, elle parti. Il me fallu quatre jours après cela pour rejoindre le camp. Je ne doutais pas que c'était le bon, alors que j'aurais légitimement pu avoir des doutes. Au cas où j'en aurais eu, le passage devant les prélats et ensuite devant l'augure m'aurais confirmé que j'étais bel et bien au bon endroit. Je suivis avec un détachement total mon assignation, qui aurait pourtant pu mes préoccuper, étant donné que cela décidait de mon destin. Mais en toute honnêteté, je m'en moquais royalement. Une cohorte est une cohorte et à part la façon de dormir et l'aménagement de l'habitation en elle-même, je ne voyais pas de grande différence, si ce n'est que ceux de la 5ème cohorte me paraissaient beaucoup plus sympathiques, moins méprisants que les autres de manière générale. C'est une fille de chez eux qui se porta volontaire pour je ne sais quelles raisons. Je les rejoignis donc, tout à fait satisfaite.
Ça fait huit ans maintenant. J'ai découvert avec eux l'utilisation du glaive, avec, je dois l'admettre, un réel plaisir. Cela m'est venu facilement en fait, ou du moins plus facilement que d'autres choses comme le travail d'équipe. Pas facile de travailler à plusieurs si on n'écoute pas vraiment l'avis des autres. Je ne m'y suis pas tellement habituée, mais j'ai fait des progrès : maintenant, j'écoute leur opinion, même si je n'en prends pas toujours compte.