Noir. Les cris de la Chair enveloppait l'endroit d'un voile sombre et poussiéreux, pourtant rempli de renouveau. Sens-tu cette délicieuse odeur de Plaisir, mon p'tit. Ce n'est pas une question, retiens-le. Si tu veux vivre, ou plutôt, survivre, tu n'as qu'à faire comme tout le monde ici. Nous t'offrons un lit, et de la nourriture, mon p'tit. Et pas cher payé, comme tu n'as pas l'ombre d'une pièce dans ta poche. Innocent, l'enfant avance avec la semi-certitude qu'il était coupable du pire crime de l'humanité. On lui confia une chambre, l'odeur le faisait grimacer. Il s'assit, penaud, sur les draps mouillés, les Voix tambourinant dans sa tête comme un marteau, comme pour percer un pauvre mur, vieux d'une trentaine d'années. N'essaie pas de t'enfuir, mon p'tit, et fais bien sagement c'qu'on te dit. Pantin désarticulé, son Enfer inconscient commença entre deux hurlements de douleur silencieux. La sombre lumière s'abattit sous ses paupières tel un roucoulement de pigeon, ou le croassement d'un corbeau. Ses membres n'étaient plus ceux du vaillant garçon qui courait et protégeait autrefois, mais bien ceux d'une pauvre Poupée sans l'éclat d'une vie. Est-ce vraiment une vie d'être ici ? Non mon p'tit, mais t'es plus toi, t'es toi en mieux. C'est bien c'que tu voulais ? Peu importe le sens des mots, son esprit n'était plus qu'un néant sans étoiles, une
Terre sans Soleil. La Boisson qui avait pollué ses lèvres goutte par goutte, qui lui avait arraché sourire par sourire, larme par larme, mot par mot, n'était plus que sa Nourriture de prédilection, deux fois par jour, pour lui faire oublier tout ça, pour faire Rire les Corps qui le dépassaient par deux fois. T'inquiète petit, t'es bien sage là, vas-y, hésite pas à tout boire, et t'auras ta dose, après qu'on t'aie bien rempli. L'estomac noué, les yeux exorbités, rouges, les pas maladroits et incertains, il regardait le monde comme un caniche supplierait ses maîtres de lui donner à manger. L'enfant n'était plus
qu'une coquille vide, bientôt poussière, mais en « vie » ; pour combien de temps encore ? La Lune cachait l'horreur de ce quartier, qui n'était plus qu'un cirque, ou un zoo, où les Grands jouaient les Enfants, et où les Enfants n'étaient plus que bête de cirque, ou clown, sans plus de dignité ni d'avenir que celui d'y rester. Tu parles d'enfants, p'tit gars, mais, t'oublies qu'les bonnes femmes sont là aussi, t'es pas seul dans la vie. Ces « Bonnes femmes », n'étaient à présent plus que des Chiennes, accouchant sous la Torture pour un Renouveau encore plus sombre, tant d'os s'entassaient ça et là, dans les recoins des couloirs et des pièces oubliées, sous les
toiles d'araignées et sous les rats affamés. Bientôt ce Désastre sera fini, disaient ceux dont la lucidité avait disparu depuis longtemps, trop soûls pour voir que la porte était toujours ouverte. Il suffisait d'avoir de la Volonté pour partir de ce complet « Paradis » ou « Cercle Vicieux ». Mais quand on est entré dans cette ronde sans Fin, quand on est finalement convaincu qu'il n'y avait qu'ici pour avoir sa Dose, devenue Indispensable, où se rendre, une fois la Porte Franchie? Dehors, le Froid te tuerait, p'tit gars. Reste ici, bien au chaud, avec tes verres et ta dose, on aura tout l'stock qu'il te faut, si tu obéis bien sagement. Le brun n'était plus vraiment en mesure de vouloir sortir, et cette idée avait presque totalement disparu. Il était devenu, par faute de volonté, une succulente proie, ou une très bonne marchandise. Malgré sa mine fatiguée, sa déambulation aléatoire à travers les couloirs des bâtiments, le grec gardait ses yeux d'un bleu étrange, ses cheveux ébènes, son corps maigrelet et alléchant, et ses manières de plus en plus fragiles et inoffensives. Horrible destinée pour un fils d'Arès ? C'était en tout cas la pensée des Olympiens, qui estimèrent que cet enfant devait sortir au plus vite de
cet boucherie humaine, car son utilité serait totalement autre... Et prochainement reconnue.
Fils, fils. Tu m'entends, je suis sur que tu m'entends. Regarde par la fenêtre. Tu vois la pluie ? Ferme les yeux, fils. Tu entends les cris ? Concentre-toi. Touche le mur. Il est fragile, sur le point de se briser. Tu sens le plâtre se décoller sous tes ongles ? Rappelle toi du goût de l'alcool, fils. Ce n'est même pas du vin. Tu bois du vieux fruit russe, fils, rien de tes gènes. Renifle. Tu sens, fils, tu sens cette odeur de charogne, de moisissure ? Sors d'ici fils. Sors. Va au combat. Sois digne d'être mon bambin. L'enfant, encore quelque peu endormi, déambula de nouveau dans les couloirs, le regard vide, tel un engin pas tout à fait humain. Des ombres partout, autour de lui. Ou n'était-ce rien ? On le retint. On l'amena ailleurs. Le liquide vermeille se répandit sur le sol, et des cris déchirèrent de nouveau les silences nauséeux de l'ombre. Enfin la porte claqua, et le petit corps déchiré de l'Enfant apparut sur le palier. Ses pas le traînèrent jusqu’à une voiture noire, les voix formant des dessins proches de visages dans son esprit flou. Le 4x4, après avoir accueilli la petite créature, démarra. « De quoi te souviens-tu, Loukáh Zacharios ? » La voix rauque ramena l'enfant sur Terre avec un long frisson sur
l'échine. Il regardait par la fenêtre le paysage défiler à toute allure. C'était comme s'il sortait d'un long, très long cauchemar. Ses bras, ses jambes, tout lui faisait atrocement mal. Il regarda son vieil habit usé et troué, imbibé d'un liquide rougeâtre. Ses yeux furent embués de larmes, et tous ses « crimes » refirent surface, les uns après les autres. Le souvenir. Une main se posa sur son épaule, une main qui semblait énorme par rapport à lui. « Pourquoi pleures-tu ? Est-ce digne de ce que tu es, Zacharios ? D'où viens-tu pour prétendre être un Demi-Dieu ? Est-ce à une mauviette comme toi à qui je devrais remettre une arme aussi puissante que celle ci ? Tu vas faire quoi avec, te tuer ? » Un simple rire, qui s'éteignit bien vite après un coup sur l'arête du nez. Le demi dieu ne pût s'empêcher de sourire mollement, essuyant ses larmes du coude. « C'est quoi, un Demi Dieu ? » Le messager d'Arès l'assassina du regard, mais il n'avait pas le droit d'abîmer le petit bonhomme, ordre du boss. Il soupira. « Les gens demandent en général comment ça se fait que les dieux existent. Mais bon. Un demi-dieu, c'est l'enfant d'un humain et d'un dieu. » Télis haussa les épaules, comme si cela n'était pas intéressant. « Et vous m'emmenez où ? J'aurais l'droit à ma dose au moins, hein m'sieur ? » Sourire angélique. Le messager lui colla brutalement la tête contre la vitre tintée. « À la Colonie, un truc pour les gens comme toi. Le voyage sera long, et t'auras ta dose en émotion. Tant pis si t'es en manque bonhomme, si tu sais pas souffrir, c'est que t'as rien eu de ton père, et tu seras bon à laisser sur le bord de la route. » Le petit faillit s'énerver. Mais il réussir à se contenir. Il ne pensait plus à ce Cauchemar. Son flux de souvenirs le forçait à rester immobile. Bella. Le visage de la petite fille apparaissait lentement dans son esprit. Morphée l'emporta avant qu'il ne commence les pires erreurs de sa vie.